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Jean Tirole, Prix Nobel d’économie 2014 : « Donnons au plan Draghi la chance qu’il mérite »

Le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne, affirme la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, doit être le socle de l’action de l’Union les cinq prochaines années. Il faut dire que le rapport est de qualité. Par son diagnostic très juste, celui d’une « lente agonie » de notre continent, selon les mots de son auteur. Par son absence de langue de bois – Européen convaincu, Draghi n’hésite pas à faire le procès de la bureaucratie de la Commission et des Etats et de leur mauvaise gouvernance dans la gestion des financements publics. Par son soutien à des réformes, en particulier transverses. Par sa démonstration que la fragmentation de l’Europe en vingt-sept pays gardant jalousement leurs prérogatives dans pratiquement tous les domaines représente un handicap compétitif rédhibitoire et nous rend inexistants sur la scène mondiale. La seule façon de faire croître le pouvoir d’achat de façon pérenne et de garder notre souveraineté est d’innover et d’améliorer notre compétitivité. Or, nous avons décroché par rapport aux Etats-Unis, qui tient le haut du pavé dans ce domaine, et bientôt nous serons distancés par la Chine.
Pourtant, beaucoup de commentateurs ne semblent retenir des 400 pages du rapport que la somme importante liée au financement des investissements nécessaires au redressement de nos économies. Certains bénéficiaires industriels potentiels et les adversaires de l’« austérité » – l’austérité d’une France en déficit de 6 % et héritière de cinquante ans de déficits ininterrompus ? – acclament l’ambition financière du rapport. Les Etats frugaux de l’Europe du Nord, eux, y voient, à l’inverse, la perspective d’argent public mal utilisé et d’une nouvelle subvention à l’Europe du Sud après le plan de relance européen de 2020, dont les grands bénéficiaires sont l’Italie et l’Espagne, et un peu la France.
Deux scénarios, aussi dommageables l’un que l’autre, pourraient alors se présenter. L’un où l’on oublie (stratégiquement) le projet, le pourquoi de cette dépense, et où l’on se focalise sur le gâteau à distribuer. La croissance ne serait pas au rendez-vous, et la dette publique n’en serait encore que plus élevée. L’autre dans lequel le rapport Draghi serait jeté aux oubliettes de l’histoire, comme tant d’autres rapports. Pour donner une chance au (vrai) plan Draghi, il faut procéder différemment.
Commencer par vouloir s’entendre sur le niveau de dépenses est la meilleure façon de transformer le plan en bouillie lors des tractations politiques qui s’ensuivront. La logique voudrait que les Européens s’entendent plutôt sur un projet : par exemple, sont-ils d’accord pour créer les institutions qui permettront de donner une chance aux innovations de rupture dont l’Europe a tant besoin – faut-il rappeler qu’aucune des vingt plus grosses entreprises de la tech et aucune des vingt plus grosses start-up mondiales n’est européenne, et que nous laissons les activités les plus rentables de la chaîne de valeur à l’étranger ? Pour l’instant, comme le montrent aussi bien le rapport sur l’innovation en Europe (« EU Innovation Policy. How to Escape the Middle Technology Trap », TSE-Bocconi-CES Ifo Munich) que le rapport Draghi, les institutions européennes ne sont pas du tout adaptées pour freiner la lente agonie technologique que nous subissions.
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